In a elegant clamshell box with a numbered and signed C Print 23cm X 23cm, only 25 copies
My maternal grandfather lives on the other side of the lake, she says. At 85, he still lives in his house, a typical isba of our Russia. In his house, after crossing the doorstep, I feel as if in another era: a carved shelf covered with the works of the great Russian authors, an antique chest of drawers, a Singer sewing machine, a huge wooden radio receiver with white keys similar to those of a piano and two big knobs on either side.
I remember being alone with him one afternoon, it was during a Easter holiday, there was a rainbow. He was listening to the radio, sitting in his armchair, not saying a word. At some point, he dozed off and I dared turn the big knob to the wavelengths of faraway cities, Berlin, Vilnius, Prague, Hilversum, Tashkent… Crackles, snatches of music, speech, words. I had had the feeling that they were ghosts, wandering souls that wanted to pass on some messages to me.
(5) Colourful zakuskis brighten up a flower napkin placed on the bare ground. Julia asks me to open the bottle of Саперави she brought with her and which she seems to look after carefully. She pours the wine in cups from the Soviet era. A thick liquid, an intense red. Julia tells me, somewhat solemnly, that the bottle dates back to fifteen years ago, her husband was then living his last days …
Wine revives memories and hearts, they say. We drink a toast to love. Julia drinks it bottom up, in the Russian style. As for me, the acidity of the wine, and above all its Itxassou cherry flavour takes me by surprise. So the Basque country comes to visit me on the quiet on the shore of this isolated Northern lake. I tell her so and we start laughing.
(6) During one month in Magadan, Ira squats a flat on the other side of the river. She invites me for tea and blinis with sugar or jam; and even for dinner with simple and delicious dishes. I feel a bit like her “man” … or her father.
I leave at 10 p.m. at the latest, mixing with stray dogs until I reach my hotel room. Magadan hotel. Everything is Magadan in Magadan.
(7) There is tropical heat in the apartment where we drink hot tea, waiting for the storm to blow away. The bright spell came rather fast, we leave for a walk in this small isolated town in the Russian Far east: Oussouriisk.
Irina and Irina, Irina’s best friend, had lived the turbulent – yet very well-behaved as far as they were concerned – years of adolescence together. These Turgenev girls, as they like to call themselves, are fond of little polka-dot dresses.
Les Filles de Tourguéniev par Philippe Herbet
L’écrivain russe Ivan Sergueïevitch Tourguéniev a créé dans ses romans et nouvelles des personnages de jeunes femmes que l’on pourrait facilement qualifier de « romantiques ». Ses héroïnes sont introverties, très sensibles, elles ont grandi dans des domaines éloignés de la ville, loin de la haute société ou en marge. Elles ont entre 17 et 25 ans, elle sont volontiers capricieuses, indépendantes, rebelles, dans la mesure où les femmes pouvaient l’être au XIXe siècle. Rebelles car elles suivent toujours leurs idées : elles aiment qui elles aiment et suivent l’inclinaison de leurs coeurs, en dépit des avis défavorables de leurs familles ou de leurs tuteurs, certaines sont des enfants naturels.
Elles sont remarquables et remarquées, pas toujours belles au sens plastique du terme, elles peuvent être considérées comme des laiderons, mais elles sont toujours très charmantes, désarmantes, imprévisibles; insaisissables. Idéalistes, en recherche d’elles-mêmes, en quête du vrai, du beau, du haut, d’une certaine forme de pureté ; elles ont en elles beaucoup de volonté. Entêtées, elles se fixent des objectifs et, avec beaucoup de détermination, elles n’hésitent pas à se sacrifier pour l’accomplissement de leurs idées. Oui, sentimentales, mais aussi plus, un engagement envers leurs sentiments.
Ainsi, les premières femmes « émancipées » de la Russie de la fin du XIXe siècle s’étaient mises à « imiter » ces héroïnes, ces personnages de papier et d’encre. Elles sont tombées en désuétude au temps de la Révolution de 1917. Jusqu’au début des années trente, elles sont considérées comme des « reliques » du XIXe siècle, mais au cours de la seconde guerre mondiale, elles reviennent au devant de la scène, elles sont alors vues comme des héroïnes et le personnage de Fille de Tourguéniev devient une sorte d’idéal.
Le temps passant, leurs caractères se sont donc peu à peu éloignés des romans et nouvelles de Tourguéniev, pour devenir des femmes émancipées, des héroïnes, des personnages liés au passé, voire passéistes, avec une dimension soit péjorative, soit affirmative d’une identité. On les désigne comme étant des filles romantiques, idéalistes, tendres, pleurnicheuses, sentimentales, poétiques, fines, touchantes, qui ne savent ou ne veulent pas s’adapter au monde contemporain, modestes, démodées, elles ne se teignent pas les cheveux, se maquillent très discrètement – lorsqu’elles se maquillent -, dansent la valse, rougissent lorsqu’elles entendent des impolitesses, elles ont des principes moraux bien établis et solides, dévouées, elles appartiennent à différentes couches sociales, elles ne sont pas réunies en réseau.
Je suis allé à leur découverte à Saint-Pétersbourg, à Moscou, à Minsk et dans les campagnes de la Russie profonde, là où étaient sis les domaines de Tourguéniev, de Tolstoï, d’Ivan Bounine et de Bakounine. Et je les ai photographiées chez elles, dans les rues et j’ai associé à leurs photos des éléments symboliques liés à leurs existences comme le lait, la pomme, l’arbre, les icônes… J’avais en tête toute une iconographie liée à la Renaissance italienne et au XVIIe siècle hollandais qui m’a nourri lors de mes prises de vues.
J’ai observé deux tendances à l’heure actuelle, l’une concerne plutôt des jeunes femmes vraiment démodées, ternes, pas très ouvertes sur le monde contemporain, voire alternatives, plus « intègres » par rapport au caractère original. Elles cousent des robes, tricotent, ne lisent que de la littérature classique, n’écoutent que de la musique classique, mènent une vie saine, s’alimentent de produits naturels, elles tournent le dos à l’agitation. Une autre tendance, plus à l’opposé, s’accommode beaucoup plus du monde d’aujourd’hui, il s’agit plutôt de femmes adeptes d’une mode néo-rétro, vintage, s’accompagnant parfois d’un retour à des valeurs solides, aux spécificités ultra locales, voire nationalisantes. Une mode ? Une marque de luxe russe a ouvert des boutiques à Moscou dont les collections sont inspirées du XIXe siècle et des filles de Tourguéniev : villaturgenev.ru.
Les Filles de Tourguéniev du XXI siècle sont, comme nous l’avons deviné plurielles, elles sont de plus en plus populaires et font partie d’un paysage culturel russe – au sens large – en pleine redéfinition. Il est parfois difficile de déceler celles qui suivent une mode vintage, comme un peu partout dans le monde, et si cette mode est un reflet de valeurs traditionnelles ou d’une nostalgie de temps meilleurs, plus doux ; de celles, plus originales, plus originelles, des personnages créés par Tourguéniev. Il y a, certes, des gradations qui dépendent, naturellement, de leur environnement social (étant donné, je le qu’elles appartiennent à différentes couches sociales et qu’elles ne sont pas en « réseau »).
Les filles de Tourguéniev sont dans le temps et hors du temps, dans le monde et hors du monde. S’extraire du monde dans son mouvement superficiel, du monde des « apparences », du monde de l’actualité, de l’agitation, du faux, du brillant où, finalement, rien ne brûle, c’est prendre une position, c’est un acte, et même un engagement. Peut-être sont-elles des résistantes, du moins certaines d’entre elles.
Je les sens aussi très proches de ces femmes de Vermeer, dans leurs maisons monde, qui traversent les siècles pour nous ravir et toujours nous parler de notre humanité.
Peut-être que ces filles n’existent pas, elles ne sont qu’un idéal, un cliché, des images, une image, une image collective récupérée par la mode dans certains cas et, dans d’autres, par ce désir de s’identifier, de se singulariser. Rêves, utopie. Je n’en sais rien.
Philippe Herbet