Pieter Hugo est un colosse, dont les images sont chaque fois des chocs visuels, parce qu’elles vous regardent sans ciller, et que la franchise effraie quand elle n’attend pas de réponse.
Pierre Bessard, qui est son ami, lui consacre un ouvrage, intitulé de façon tendrement ironique Flat noodle soup talk, où les visages qui vous contemplent, en souriant, avec mélancolie, douceur, ou défi, sont autant de natures mortes.
Pieter Hugo photographie des êtres ayant compris que son objectif les transforme en fantômes, à moins que, sans véritablement oser se le formuler, ils ne se soient toujours considérés, l’hypothèse n’est pas absurde, comme des ombres mouvantes.
Un fruit pourrit, il éclate, le livre s’ouvre, puis se ferme, dans une odeur de grenade écrasée. Des couples se sont mariés, des amants se sont étreints, des jeunes femmes se sont fait tatouer ou percer les joues, d’autres encore ont subi des opérations, ou s’apprêtent à dîner en famille. Il ne s’est rien passé, la vie a passé, la mort n’a cessé de travailler.
Ouvrez une noix, écartelez une clémentine, vous y verrez peut-être votre cerveau, ou votre visage, ou votre sexe, ou vos entrailles.
Pieter Hugo est un métaphysicien : il sait bien que chacun se bat contre la solitude, ou l’isolement, et que les jours sont généralement bâtis d’amertumes.
Le matérialisme, marxiste ou consumériste, révèle son impuissance, incapable de combler notre besoin de consolation.
Une Mercedes caparaçonnée sort du garage, un enfant naît, des œufs se cassent sur le sol, une fissure apparaît au plafond, un vieil homme nu, couché, se prépare à ne plus revenir de son prochain sommeil.
Les corps nus chez Hugo sont émouvants, parce qu’ils ne jouent pas à être sensuels, et qu’ils montrent que la séduction est un combat que l’on mène vaillamment en le sachant perdu d’avance.
Les rêves d’utopies politiques sont des histoires anciennes. Reste l’effort très beau pour se tenir debout, seuls ou ensemble, cuirassés de protections ou sans vêtement.
Pieter Hugo ne légende pas ses images. Nous sommes probablement en Chine, en tout cas en Asie, c’est-à-dire de l’autre côté du globe unifié par une dévastation que nous ressentons désormais à chaque instant, que l’on soit à Paris, Pékin ou au Cap.
Et si chacun accepte ici d’offrir au photographe sud-africain son image avec la plus grande pudeur, c’est que peut-être, face à l’incommensurable vertige qu’impose un monde à l’agonie, ce sentiment expose sans le vouloir l’un de nos derniers noyaux d’humanité partageable, telle une ultime et modeste insurrection de l’espèce humaine face à la menace de son anéantissement.
Pieter Hugo, Flat noodle soup talk, design and book concept Ramon Pez, éditions Pierre Bessard, 2016 – typeface Grot 10
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