Des reliefs pas plats du tout
C’est le terme que l’on utilise, pour désigner les déchets d’un repas : ce qu’il reste et qu’il convient de ramasser. Les « reliefs » sont, étymologiquement, ce que l’on « relève » de la table. Avec cette application méthodique et obsessive qui est la sienne, Agne « relève » donc, jour après jour, les indices de ses mœurs culinaires : queues de cerises, coquilles de noix, peaux de bananes, parfois une feuille de thym rescapée du ragoût, un emballage de cornet de glace ou un bouchon de liège de bouteille de vin. Ce relevé pourrait sembler entomologique, voire policier. D’autant que le regard posé vient d’en haut : il domine la scène, comme celui, distancié, d’un enquêteur — ou celui, inquisiteur, d’un satellite-espion (ou celui, omniscient, de Dieu le Père). D’autant, aussi, que le protocole photographique se montre intransigeant : vue plongeante, format carré et cadrage centré. Les ombres sont courtes, et le surplomb écrase la perspective. Inscrit dans un quadrilatère (cadre de la photographie), un cercle (assiette) est animé par un trait horizontal (cure-dent…) et deux petits triangles (croûtes de fromage !) : on songe à ces peintures abstraites que l’on rangeait jadis, et à juste raison pour le coup, dans la catégorie de « l’art concret ». Rien de plus concret, en effet, que cette abstraction-là : ce qui nous passe sous la dent ! Les photographies d’Agne parlent à notre ventre, mais nous touchent au cœur. Ces reliefs n’en ont guère, du relief ; pourtant, ils ne sont jamais plats : tous pareils, mais tous différents… Nous y lisons la lumière du jour, la tonalité d’une humeur et le goût du moment. En nous livrant les preuves quotidiennes de son existence, Agne nous invite à nous éprouver vivants.
Jean-Louis Roux