Noli me tangere par Pierre Bessard
De tous ses yeux, la créature voit l’ouvert.
Tel est le début de la huitième Elégie de Duino, du poète allemand Rainer Maria Rilke.
L’ouvert est un espace qu’habitent les elfes, les innocents, les saints.
Cet infini, Bill Henson le perçoit dans la beauté terrible de ses modèles, inscrits sur fond noir, comme si les ténèbres chantaient.
Ses sculptures d’êtres de chair sont des sources de jouvence, des photographies conçues pour traverser le temps, à la façon des vaisseaux amiraux des opéras de Wagner.
Les emporte un souffle romantique qui est dépassement, appel du sublime, éblouissement de solitude en un monde retourné par la laideur.
Parmi les ruines et les temples de la nature s’avancent des êtres diaphanes, de purs rêves, d’inaccessibles fantômes.
Venus du lointain, ce sont des intouchables.
Ils sont silencieux, sacrés, intimidants, comme si la mort ne les effrayait pas.
Continuateurs de la statuaire classique, ils n’ont pas d’âge, souverains et sauvages, ce sont des déités de présence rare.
Pétris de glaise, les voici qui se mettent à voler, bien loin des humains suffrages.
La nuit désirée est leur abri, telle une protection de verre invisible.
Bienheureux, vous êtes nés d’Orphée, juge sévère.
Gloire au souffle créateur, gloire aux astres voyageurs, gloire aux êtres neufs, gloire à l’inentamé.
Appuyés aux anciens parapets, nous souffrons d’être si pesants, quand vous êtes vin, vigne, flèches et messagers.
ô tension pure !
ô joie qui abonde !
ô musique des sphères !
Mais qui donc, si je criais, m’écouterait dans les ordres des anges ?