De quoi parle t-on lorsque l’on évoque la beauté ? Pour Ed Templeton, la réponse à cette question est très simple : la beauté est un moment, une unité temporelle infime remplie de désirs, d’émotions et de promesses tenues. Elle se retrouve dans tous les clichés de Templeton. Que ce soit dans les résidus de poussières emportés par le vent ou dans les lignes parfaites d’un visage marqué par une émotion évasive. Les portraits d’amour, de paix et de beauté de l’artiste retentissent dans le monde en se fondant dans son mécanisme bruyant. Le résultat est une certaine tendresse émotionnelle qui bat de l’aile comme un kolibri.
Ed Templeton est un athlète mondialement reconnu, un peintre, un photographe, mais c’est avant un tout un compteur d’histoire extraordinaire car il observe la vie dans tout ce qu’elle a de plus riche et d’intense. Ses nombreux livres, catalogues et zines sont des témoins de la complexité (et vulnérabilité) de la nature humaine. Sa dernière publication intitulée « Adventures in the Nearby Far Away » représente une pièce manquante fascinante de sa recherche photographique.
Publié aux Editions Bessard, son livre plié en accordéon est un journal intime tout en photos dédié à l’ile de Santa Catalina en Californie. L’œuvre reprend un élément essentiel de son travail : l’espace qui nous entoure. Ainsi, l’artiste se sépare – ne serait-ce que pour un moment – de son sujet favoris qu’est l’humain pour se tourner vers le paysage environnant, le compagnon silencieux d’une série d’aventures aussi belles qu’imprévisibles que la mer bleue qui se perd dans l’horizon. Nous avons rencontré Ed pour en savoir plus sur ce projet…
Be Street : Bienvenue Ed. Parles nous du concept de ta dernière œuvre “Adventures in the Nearby Far Away”?
Adventures in the Nearby Far Away est un journal photographique de mes nombreuses visites à Catalina Island sur la côte sud de la Californie. Je viens ici depuis que je suis tout petit et je prend des photos de cet endroit depuis les années 90. Toutes les photos son analogues. Les Editions Bessard m’ont proposé d’en faire un livre dans ce style. Au début, j’étais sceptique parce que je ne suis pas fan du format accordéon. Puis je me suis mis à réfléchir au type de projet qui pourrait s’adapter à ce format. Et c’est là que je me suis rappelé de cette série de photos prises à Catalina et que j’avais prévue de publier sous forme de fanzine. J’avais fait des collages avec les dizaines de photos prises de l’horizon. Et en fait, ce format s’est avéré être parfait pour ce genre de collages car je pouvais montrer le collage en entier sur une page continue.
B.S : Selon quels critères as-tu fait la sélection des photos pour ce projet ?
Je voulais en faire un journal photos mais rien de trop personnel. On se fiche de voir des photos de ma femme et de mes amis tout sourire pendant les vacances. Le but etait de montrer cet endroit. Les gens, le paysage, les légendes urbaines d’un endroit lourd d’histoire. Un endroit que mes grands-parents fréquentaient pendant leur jeunesse.
B.S : Quel est ton souvenir le plus cher de Santa Catalina ? Tu te rappelles de ta première visite sur l’île ?
Oui, je partage une histoire d’enfance dans le livre. Mes plus beaux souvenirs sont avec mes grands-parents. Ils louaient une maison pour une semaine chaque année. Ils nous racontaient tout ce qui avait changé au cours des années. On prenait le bateau tous les matins pour explorer les environs. Mon grand-père était un matelot et adorait être en mer. Je me rappelle des bateaux de pêches qui revenaient sur la plage après leur pêche à l’espadon. C’était choquant de voir ces belles créatures accrochées tout sanglotant, je n’oublierais jamais.
ed-templeton-santa-catalina-interview-5
B.S : Y a t-il un endroit sur l’île qui te tient particulièrement à cœur ?
La ville d’Avalon est toute petite, 1 km carré tout au plus. Cela lui confesse un charme digne d’une bourgade italienne. Mon endroit préféré est le Frog Rock au nord du village. C’est un énorme roché qui jailli de l’eau à 50 m de la plage. On adore y attacher notre bateau, nager vers le rocher, monter dessus et sauter dans l’eau. C’est un droit de passage pour tous ceux que je fais visiter l’île. Tout le monde y passe.
B.S : Si tu devais choisir trois photos de ton livre, tu choisirais lesquelles ? Racontes nous l’histoire qui se cache derrière ces photos.
J’essaie de me rendre à Catalina tous les ans en juillet pour mon anniversaire. J’invite un maximum d’amis. Sur la photo on voit mon ami Griffin ensevelit de galets qu’on lui a gentiment posé dessus. On s’éclate à nager, faire des randonnées, escalader le plus possible et c’est toujours l’éclate avec lui.
Griffin with Rocks on back Catalina
C’est une photo de ma nièce Sophia lors d’un camping à Two Harbors. Elle explore les bassins le long de la côte. Catalina est un paradis pour les enfants et j’adore inviter des amis sur l’ile pour leur montrer à quel point cet endroit est magnifique.
Un phoque et le Casino de Catalina
Sur cette photo on voit l’épique casino de Catalina avec un phoque qui se repose sur une bouée. C’est si près de Los Angeles et assez loin à la fois pour que la nature se mélange avec les gens et la ville.
B.S : C’est quoi l’aventure pour toi ?
L’aventure commence quand je sors de chez moi.
B.S : Ton travail se focalise avant tout sur les gens que tu observes. Ce projet ne fait pas l’exception sauf que pour ce projet, le paysage est bien plus qu’une toile de fond. Il prend vie, est habité de créatures des mers et d’oiseaux, on y voit la plage, les rochers et des arbres en tous genres…
Oui c’est exact. Je ne suis pas particulièrement fan de ce type de photos en général. Je shoote des personnes qui représentent la nature humaine. Mais pour ces clichés de Santa Catalina, les individus sont secondaires. L’endroit est magique, je voulais capturer la lumière tomber sur ce paysage magnifique. La robustesse de la terre, le côté vierge du paysage, on s’imagine que toute la Californie était ainsi avant que les Européens ne débarquent. Je voulais montrer la nature, l’architecture et notre interaction avec le paysage de cet endroit.
B.S : Ca te dirait de faire une livre dédié uniquement à ces paysages naturels ?
Non ! Enfin il ne faut jamais dire jamais. J’avoue qu’il m’arrive de shooter uniquement des paysages sans individus dedans. Je ne connais qu’un seul photographe qui photographie uniquement des paysages et c’est Ansel Adams, mais ça ne me dit rien. Peut-être que je sortirais un jour un tel livre mais rien de moins sûr.
B.S : Quel type de matériel as-tu utilisé pour tes clichés de Santa Catalina ?
J’ai pris ma Leica M6 mais pour mes aventures en mer, j’ai préféré prendre ma Canon AE-1. Il m’arrivait de nager du bateau sur la cote camera en main en essayant de la tenir hors de l’eau. Aujourd’hui j’ai un boitier waterproof qui s’adapte à la Leica et à la Canon. La plupart des photos a été prise avec un objectif de 50mm, parfois un 35mm. Pour les pellicules, j’ai utilisé des Kodak Tri-X B&W film et Kodak Portra pour la couleur, à quelques exceptions près.
B.S : Tes clichés sont souvent accompagnés de notes écrites à la main ce qui leur confère une certaine qualité narrative. Parles nous de ces nombreuses notes que l’on retrouve dans “Adventures in the Nearby Far Away”? Est-ce que ce sont des citations, des descriptions ou des observations personnelles ?
Il s’agit de légendes. Un endroit, un nom, parfois une citation. J’aime raconter l’histoire autour de la photo car ça lui donne une autre qualité. Pour les autres, je préfère laisser le spectateur dans le flou pour qu’il interprète lui-même ce qu’il voit. Parfois il faut compléter avec des infos afin de bien faire passer mon intension. J’aurais aimé avoir plus de place pour écrire dans ce livre, mais la façon dont j’ai posé les collages ne laissait pas plus de place pour écrire.
HERE THE LINK OF THE BE-B.S : Quel rôle joue l’écriture dans tes projets photos ?
Je pense que dans l’ensemble, ce n’est pas si important que cela. J’aimerais faire un projet où l’écriture est tout aussi importante que la photo pour chaque image. Mais jusqu’à présent, mes photos pouvaient se passer de textes, je rajoute juste ce qu’il faut d’infos.
B.S : Tu es également un grand collectionneur de livres. Quand est-ce que tu t’es mis à collectionner les bouquins ? Un livre ou une œuvre photographique que tu aimerais suggérer à nos lecteurs ?
J’ai commencé à collectionner des livres dans les années 90. Jai commencé par collectionner les livres d’art et comme je m’intéressais de plus en plus à la photo, je me suis mis à collectionner les recueils photographiques. Ma collection n’a cessée de s’agrandir pendant ces 15 dernières années, je n’ai plus de place ! Un de mes livres préférés de tous les temps s’intitule Raised By Wolves de Jim Goldberg. Également Teenage Lust de Larry Clark, Synthetic Voices de Mark Borthwick, The Lines of my Hand de Robert Frank et David Hockney de David Hockney.
B.S : Quel est le truc qui fait la différence entre une bonne et une très bonne photo ?
L’empathie. Il faut pouvoir être empathique, s’intéresser à son sujet. Si tu es trop empathique, tu ne shooteras jamais personne car tu auras peur de l’offenser. Tu dois avoir le courage de prendre la photo et suffisamment d’empathie pour savoir ce que tu en feras plus tard. Autre élément majeur, la chance. Si tu es un bon observateur, tu peux augmenter ton potentiel d’être au bon endroit au bon moment. Mais il faut savoir saisir les opportunités, être réactif. La bonne photo arrivera au moment où l’on s’y attend le moins.
B.S : Dans un épisode de “Epicly Later’d”, tu demandes à jeune fumeur de joint : « C’est quoi le bonheur ? ». Alors Ed, c’est quoi le bonheur ?
Je crois qu’il m’a répondu « Fumer de l’herbe » ou un truc du genre. Ma reponse est beacuoup plus banale. Le bonheur pour moi c’est de pouvoir créer. J’ai la chance de pouvoir passer beacoup de temps à faire ce que j’aime et ça, ça me rends heureux. Je fais ce que j’aime avec les gens que j’aime.STREET MAGAZINE: http://www.be-street.com/fr/cartes-postales-de-santa-catalina-une-conversation-avec-ed-templeton/